- ENCEINTES (Antiquité)
- ENCEINTES (Antiquité)Le mot enceinte apparaît au XIIIe siècle pour désigner une construction entourant un espace habité dont elle défend l’accès à la manière d’une clôture. Est donc essentielle pour la définition du terme l’idée de protection d’une collectivité humaine contre un ennemi. L’enceinte est donc un rempart, terme spécifiquement employé à partir du XIVe siècle pour une muraille ou une levée de terre défendant une forteresse ou une ville. La notion d’enceinte implique l’idée de fermeture, de sorte que des fortifications linéaires, comme celle du limes romain, ne pourront pas être qualifiées d’enceintes. Mais il existe des enceintes défendant des régions. Ainsi, en Asie centrale, de l’Antiquité au Moyen Âge, de riches oasis de plusieurs dizaines de kilomètres de diamètre, celles de Boukhara ou de Samarkand par exemple, furent entourées d’une enceinte qui avait une double fonction de défense contre les cavaliers nomades et de protection contre l’avancée du désert.Dans le vocabulaire moderne, le mot enceinte a pris, par extension, un sens plus large. En principe, on n’utilisera pas le mot pour un espace agricole: on parlera d’un enclos; mais pourtant, à propos des Longs Murs de Bitburg près de Trèves en Rhénanie, énigmatique muraille datée de la fin de l’Antiquité et enfermant un espace de 25 km sur 10 km, les archéologues se sont demandé s’il ne s’agissait pas de l’enceinte d’un domaine impérial. Par contre, le terme est largement utilisé pour désigner le mode de clôture d’un espace sacré. En Égypte, le temple est un vaste organisme qui comprend non seulement la maison du dieu, en pierre, mais aussi tous les édifices annexes liés à l’exercice du culte; le plus souvent, une enceinte de brique délimite et protège le domaine divin. À Karnak, le grand sanctuaire d’Amon possédait une enceinte qui avait environ 2 400 m de pourtour et était épaisse de 8 m. La pratique de délimiter le domaine divin est commune à beaucoup de religions: ainsi, en Grèce, le sanctuaire de Delphes forme un quadrilatère escarpé de 180 m sur 130 m. La similitude des formes et des fonctions de défense et de délimitation – matériel dans un cas, spirituel dans l’autre – justifie ce glissement de sens. L’ambiguïté de la définition de la structure à partir de la seule analyse morphologique apparaît bien dans le cas d’une série homogène d’enceintes protohistoriques rectangulaires connues surtout en France du Nord et en Allemagne; de forme carrée (les Allemands emploient le terme Viereckschanze ) et d’une superficie de l’ordre d’un hectare, elles sont constituées d’un fossé et d’un talus dépassant rarement un mètre qui réutilise la terre du fossé, et sont implantées en position basse; on les avait prises pour des camps de la conquête césarienne. Actuellement, l’interprétation de ces enceintes comme cultuelles paraît assurée.Il était nécessaire de rappeler ces extensions du sens du terme pour comprendre les problèmes posés par l’étude des enceintes défensives qui, en principe, seules nous intéressent ici. Paradoxalement, eu égard à leur aspect spectaculaire et à leur fonction d’élément constituant de la ville, les enceintes sont un monument souvent mal connu, dont l’étude a souffert du discrédit de l’«histoire bataille». L’enceinte est un élément constituant de la ville. Ainsi, dans les cités grecques, l’agora permet l’exercice des fonctions civiques, le temple de la divinité poliade et l’herôon du héros fondateur permettent celui du culte; de même, le rempart en assure la défense et matérialise la séparation de la ville et de la campagne. À toutes les époques, la muraille a eu une valeur ostentatoire. Aristote, dans la Politique (VII, X, 8), recommandait de «veiller à ce que les murailles soient de nature à embellir la ville». À l’époque romaine, c’est une res sancta . Pourtant, elle présente l’intérêt de pouvoir être étudiée selon différentes approches: polémologique ou architecturale bien sûr; mais aussi institutionnelle et philologique: il existe un droit du rempart et une histoire de son vocabulaire. Ainsi des erreurs sont nées de ce que l’on a ignoré que le mot latin moenia , qui signifie rempart en latin de l’époque classique, a fini par désigner un ensemble de bâtiments publics dès le premier siècle de notre ère.Les enceintes ont fait l’objet de typologies, d’études chronologiques mettant en évidence le moment d’apparition de tel ou tel perfectionnement. Actuellement, la vision classique et technique de l’enceinte est complétée: elle est mise en relation avec l’habitat et avec les vestiges inclus dans l’espace entouré. L’environnement naturel est maintenant pris lui aussi en considération. On insiste beaucoup sur une fonction symbolique très tôt importante. À l’époque hellénistique, les divinités des villes sont représentées coiffées de la couronne murale; sur les mosaïques, sur les cartes, la bordure remparée avec tours constitue l’image la plus symbolique des villes. Il faut également prendre en compte des aspects psychologiques: le désir d’ostentation, mais aussi des motivations plus profondes, telles que l’attrait du lieu clos.1. Histoire des enceintesLes débuts de l’urbanisationLes archéologues mettent en relation la construction d’enceintes avec les débuts de l’urbanisation: en Mésopotamie, dès l’époque sumérienne proto-dynastique (première moitié du IIIe millénaire), le roi Gilgamesh aurait élevé autour d’Uruk un gigantesque rempart dont les archéologues pensent avoir retrouvé les vestiges. Ils ont eu tendance à faire remonter très haut dans le temps la construction d’enceintes et à en faire le critère par excellence de l’urbanisation. En 1955, une archéologue découvrait à Jéricho, sous des vestiges de l’âge du bronze (IIIe millénaire), un mur et une tour de pierre qu’elle datait de la phase la plus ancienne du Néolithique (IXe-VIIIe millénaire); elle concluait que dès cette époque Jéricho était une cité de 3 000 à 4 000 habitants s’étendant sur 2,4 ha et qu’un mur l’entourait. Toutes les idées en cours sur l’urbanisation s’en trouvaient remises en question; on commençait à parler de villes néolithiques.Ces positions paraissent maintenant excessives: des réalités symboliques élaborées par les sociétés historiques ont été transposées dans la préhistoire. Les premières enceintes apparaissent dans les sociétés néolithiques avancées autour des premières agglomérations, sous forme d’un obstacle: mur – levée de terre, accumulation de pierres, palissade – ou fossé matérialisant une limite. Leur construction procède du désir de définir un espace et de le défendre contre les animaux sauvages. Il est d’ailleurs difficile de savoir s’il s’agit de parcs pour les troupeaux ou d’enceintes proprement dites. Ainsi en Grèce, au IVe millénaire, sur le site néolithique de Dimini, une série d’enceintes entoure une acropole, mais leur fonction n’est pas encore démontrée. Reprenant l’analyse archéologique du «rempart» de Jéricho dans son rapport avec l’environnement naturel, les archéologues des années 1980 se demandent si ce que leurs prédécesseurs ont cru être un rempart n’est pas en réalité une digue de protection élevée contre les débordements de l’oued voisin. Jéricho n’est pas le seul site concerné par ce genre de réinterprétation: on croyait qu’une ligne circulaire qui entourait la ville syrienne de Mari correspondait à une enceinte, alors qu’il peut s’agir d’une digue protégeant la ville contre les crues exceptionnelles de l’Euphrate.Avec les Hittites, la construction des remparts fait de remarquables progrès. Les murailles de leur capitale, Hattousha, l’actuelle Bogazköy, dans la boucle de l’Halys (le Kizil-Irmak) en Asie Mineure datent de l’apogée de leur empire (XIVe-XIIIe s.); elles sont doubles et construites sur un remblai artificiel constitué par la terre d’un fossé creusé en avant. La base est en appareil cyclopéen et le haut, en terre. Les progrès de l’art des fortifications dont elles attestent sont en relation avec ceux de l’art de prendre les villes: on a appris à miner les remparts et à les attaquer par des béliers dont l’invention est attribuée aux Hourrites, les fondateurs de l’empire du Mitanni à la fin du XVIe siècle. Il faudra attendre le Ier millénaire et plus précisément le nouvel empire assyrien (IXe-VIIe s.) pour voir l’art du siège faire de nouveaux progrès avec, en particulier, la mise au point de béliers perfectionnés. Mais les villes résistent et ne sont souvent prises, après des sièges qui durent des années, que par épuisement des assiégés ou par la ruse. Dans l’épopée homérique, le siège de Troie par les armées grecques n’est que l’exemple le plus célèbre d’une situation répandue.En Occident, le fait d’entourer un habitat par une enceinte apparaît dans le Midi méditerranéen au IVe millénaire dès le Néolithique final (enceintes à bastions semi-circulaires du sud du Portugal) et se prolonge jusqu’au début du IIIe millénaire, Bronze ancien (citadelle de Zambujal au Portugal, habitats fortifiés de la région d’Almería, Nitriansky-Hradok en Slovaquie occidentale, Fort-Harrouard dans la vallée de l’Eure en France). En Grande-Bretagne, dans le Bassin parisien, dans les Charentes, on connaît des «camps à fossés interrompus» (casewayed-camps ), sites entourés d’un ou de plusieurs fossés concentriques, éventuellement complétés par un mur. Ce phénomène semble subir une éclipse durant le Bronze moyen et le Bronze final (milieu et fin du IIe millénaire, début du Ier millénaire), bien que commence à cette époque le développement des castros ibériques. Il se peut d’ailleurs que cette éclipse soit le simple reflet des connaissances: la fouille du châtelet d’Étaules en Bourgogne a mis en évidence une occupation de la fin de l’âge du bronze caractérisée par des innovations dans la construction du rempart (système de poutrage interne).On met en rapport le développement d’habitats fortifiés de hauteur aux alentours de 600 avant J.-C. sur les sites du littoral méditerranéen et de l’Europe danubienne (oppidum de La Heunebourg près de Stuttgart en Allemagne) avec la colonisation grecque. Mais en fait les huit cents enceintes, pour la plupart protohistoriques, connues en France, essentiellement en situation perchée, sont encore assez mal datées; elles font l’objet d’une occupation plus ou moins permanente. Pour la France du Nord à l’époque de Hallstatt (Ier âge du fer), O. Buchsenschutz a réalisé une étude systématique des enceintes en prenant en compte leur lien avec les structures d’habitat. Cet inventaire met en évidence la diversité des cas: elles peuvent avoir servi de refuge, avoir protégé une agglomération permanente, avoir servi d’enclos à une ferme ou à un village, être le mur du château. Seules des fouilles étendues permettent de se prononcer.L’apport des GrecsEn fait, jusqu’à la fin du Ve siècle avant J.-C., les enceintes urbaines valent par leur puissance; le siège consiste à les investir et à attendre l’épuisement des défenseurs. Les engagements militaires ont lieu en rase campagne et le territoire rural est plus important que la ville. Tout change dans le monde grec à partir du IVe siècle et surtout à l’époque hellénistique: à l’art de prendre les villes (la poliorcétique) correspond l’art de les défendre et s’élabore une science dont l’essentiel est codifié par Philon de Byzance. Le livre V de sa Syntaxe mécanique , rédigée très probablement dans la seconde moitié du IIIe siècle avant J.-C. et transmise par les traités byzantins au monde arabe et au monde occidental, reste valable jusqu’à l’apparition des armes à feu, à la fin du Moyen Âge. Les belles et spectaculaires enceintes grecques et hellénistiques, dont certaines sont très bien conservées, ont permis le développement des études archéologiques; celles-ci, à leur tour, rendent possible l’étude de l’adaptation des schémas défensifs grecs aux sociétés périphériques auxquelles ils ont été transmis par conquête ou acculturation. Des novations apparaissent en Syrie au XIIe siècle seulement et en Occident au XIVe siècle, avec la défense rapprochée de portes et la construction d’encorbellements et de mâchicoulis sur le chemin de ronde.En Italie, avant le Ve siècle, les Étrusques construisaient des enceintes assez rudimentaires fondées sur les qualités naturelles du terrain. Les techniques de fortification pénétrèrent par les cités grecques de Sicile et d’Italie du Nord et furent transmises aux Romains qui les mirent en œuvre dans leurs fondations coloniales. C’est surtout au dernier siècle de la République que les enceintes se multiplient, à la suite de la concession du droit de citoyenneté aux alliés: la mise en place d’un mur apparaît comme une des opérations les plus urgentes. Le mouvement s’étend ensuite au reste de l’Empire. Ces opérations de construction sont facilitées par l’amélioration technique et la diminution des coûts consécutives au développement de l’usage de l’opus caementicium ou blocage. Ce procédé – connu des Grecs sous le nom d’emplecton mais non utilisé systématiquement – permet d’utiliser la main-d’œuvre abondante et peu qualifiée que la conquête a mise à la disposition de Rome. À l’époque républicaine, les enceintes des colonies «déduites» (créées) par Rome dans les régions nouvellement conquises ont une fonction militaire: selon Cicéron, elles sont les specula (postes d’observation), les propugnacula (citadelles avancées) de Rome (comme il le dit de Narbonne) [De lege agraria , II, 73]. Face au monde barbare qui commence au-delà du Rhin (la Germania libera ), la muraille de Cologne est la vitrine de la puissance romaine.Par la suite, sous l’Empire, un lien s’établit entre la construction d’une enceinte et la promotion juridique d’une agglomération qui accède à la dignité de colonie romaine. En pays nouvellement conquis, normalement, la colonie romaine reçoit un rempart et, si elle n’en a pas, elle risque de connaître le sort de Camulodunum prise et détruite sous Néron par les Bretons révoltés. La construction d’un rempart peut aussi être associée à la construction de rues et d’égouts et liée à une restructuration de l’espace urbain comme dans le cas des colonies militaires créées sous Auguste dans l’Italie du Nord. Mais il est vrai qu’à l’époque où l’armée protège suffisamment les limites de l’Empire la nécessité de défense diminue, les principes anciens sont en partie oubliés et des villes, Rome la première, restent ouvertes. En Gaule narbonnaise, par exemple, on ne connaît comme villes remparées que Arles, Fréjus, Nîmes, Orange et Vienne; des doutes ont été émis sur l’existence d’une enceinte à Aix-en-Provence. Lyon est un cas remarquable: on lui attribue quasi unanimement un rempart qui, selon l’hypothèse reprise par A. Grenier, aurait mesuré 5 km et aurait enclos un espace de 140 ha; selon A. Audin, elle n’aurait eu que 3,2 km de tour (pour la muraille de la colonie primitive) et n’aurait délimité qu’une superficie de 60 ha, excluant à son origine le sommet de Fourvière. Les vestiges sont en fait mal datés et dans l’étude qu’il en donne, tout en admettant que la colonie de Lyon ait dû posséder une enceinte, A. Desbat conclut à notre ignorance de son tracé exact. On pense que des colonies augustéennes, comme Augst et Nyons, étaient primitivement dotées d’enceintes de bois et de terre qui n’ont pas été conservées; cette observation peut expliquer des cas troublants comme celui de Benevagienna dans le Piémont (Augusta Bagiennorum ) ou de Lienz dans le Tyrol (Aguntum en Norique) où seuls certains éléments (la porte surtout) furent effectivement construits.Les modifications de la fin de l’AntiquitéL’art de construire des enceintes fortifiées ne fut cependant sans doute jamais perdu. On continue à construire de puissantes enceintes dans des lieux où se posent des problèmes de défense. L’exemple de l’enceinte de Jérusalem, dont les troupes de Titus éprouvèrent la solidité, fut douloureux pour les Romains. Le droit de construire une enceinte était accordé par l’empereur comme une récompense mais il se monnayait également, et Tacite a raison de dénoncer «l’avidité qui régnait au temps de Claude» et «avait permis d’acheter le droit de se fortifier» (Histoire , V, 12). À la suite des invasions du IIIe siècle, le problème de défense retrouve son urgence: de nombreuses villes ont été détruites ou pillées. Leur reconstruction est difficile et longue; aussi les enceintes dont elles s’entourent sont-elles faites de matériaux récupérés sur des édifices ou dans les nécropoles et l’espace protégé est-il souvent réduit. Mais les situations sont en fait diverses et les historiens révisent le jugement négatif autrefois porté sur la fin de l’Antiquité. Certaines enceintes (Trèves ou Autun par exemple) avaient rempli leur fonction ou subsistaient. Les ingénieurs militaires reprennent de l’importance et de remarquables défenses sont édifiées. En fait a changé le rapport entre un tissu urbain et un rempart qui ne définit plus les limites de la ville. La rétraction de l’habitat n’est pas aussi évidente qu’on l’a cru sur la foi d’enceintes réduites mal datées. Certaines enceintes (celles de Mayence ou celle de Metz par exemple vers le limes, celle de Périgueux en Aquitaine) ne défendent plus qu’un espace réduit correspondant peut-être au seul centre administratif de la ville.2. Les modes de constructionLa muraille d’une enceinte peut être faite de matériaux très divers (végétaux, terre, pierre) et de la combinaison de ces divers matériaux. En Afrique, à l’époque précoloniale, on a utilisé des protections végétales: les rapports coloniaux font état de véritables fortifications constituées de fourrés d’euphorbes et d’épineux dont le démantèlement fut souvent exigé par les puissances coloniales. En Europe, sur les bords de la Méditerranée ou en Asie antérieure de telles enceintes ne sont attestées ni par les textes antiques ni (encore) par l’archéologie préhistorique et historique. Mais leur existence n’est pas invraisemblable et il convient d’en maintenir l’éventualité; alors que la plupart du temps on risque de prendre un enclos pour une fortification, dans ce cas une fortification aura toutes les apparences d’un parc.D’une manière générale, enceinte et rempart se définissent par le soin particulier apporté à leur construction plus que par une manière spécifique de construire. Les civilisations anciennes, en particulier en Mésopotamie, ont fait largement appel à la terre. Il ne s’agit certes pas d’un matériau noble; mais la terre présente des avantages qui ne sont pas seulement de coût, de rapidité d’exécution et d’entretien; elle a aussi des qualités mécaniques qui expliquent que l’on continua à l’utiliser. Pausanias en rappelle les avantages: «Contre les machines [de siège], la brique offre plus de sécurité que les constructions de pierre, car les pierres éclatent sous les chocs et se disloquent aux joints» (Périégèse , VIII, VIII, 6-9). Cela explique que, même à l’époque hellénistique dans les régions où la pierre abondait, on continue à utiliser la terre dans la construction des murs défensifs. Très tôt, par exemple dans le niveau II C de Troie (XXIIIe siècle environ), le mur de brique crue fut édifié sur un soubassement de pierre qui empêchait l’humidité du sol de remonter. La muraille de la capitale hittite Bogazköy est construite en appareil cyclopéen de 6 m de haut; mais les superstructures étaient en briques de terre.En fait, dans l’état actuel de la recherche, il est très difficile d’écrire une histoire précise de l’utilisation de ce matériau comme constituant d’un rempart. Il en existe au moins trois types très différents: le torchis qui est un mélange de terre et de végétaux, la brique crue ou adobe qui est un matériau de série obtenu avec un moule à partir d’un mélange de terre et de végétaux, le pisé qui est une maçonnerie banchée de terre excluant les végétaux. Ces matériaux ont des caractéristiques propres qui peuvent donner des structures plus ou moins lourdes. Or les archéologues les ont confondus dans leurs publications et l’étude comparative des remparts de terre supposerait une reprise complète des données de fouilles.Pendant l’âge du fer européen, l’utilisation de la terre fut combinée à celle du bois. En France, l’étude de ces fortifications a commencé au début du siècle, avec la Société préhistorique de France, qui avait créé une commission des enceintes et dressé une bibliographie complète. Il existait plusieurs familles de remparts. Les talus massifs constitués seulement de pierre et de terre sont assez rares: le plus souvent, ils constituent le renforcement d’un rempart ancien appuyé sur une armature de bois; le rempart à poutrage interne («type Fécamp», puis «type belge»), caractéristique de l’âge du fer en Europe, serait une réponse aux techniques romaines de siège. De même, le murus gallicus , décrit par un texte de César (Guerre des Gaules , VII, 23), paraît être le fruit d’une évolution tardive du rempart à poutrage interne; il correspond à la période de naissance de l’urbanisation: la technique nouvelle permet de bâtir de vastes enceintes dont la fonction est autant de marquer les limites de l’habitat que d’en assurer la défense.L’utilisation de la pierre sèche pour la construction d’un rempart apparaît dès le Néolithique. Des parements simples, doubles ou multiples assuraient la cohésion de la muraille dont la partie interne était constituée d’un bourrage de pierrailles. Ce système, toujours utilisé dans les murailles protohistoriques et à l’époque historique dans la construction traditionnelle de pierres sèches, présentait l’inconvénient de mal résister aux béliers perfectionnés. Avec les Grecs, la technique de la taille des blocs d’appareil atteint une perfection. Une approche traditionnelle des remparts grecs et hellénistiques a consisté à établir des typologies des appareils utilisés, allant jusqu’à distinguer seize types d’appareils parallélépipédiques. On distingue plusieurs variétés d’appareils polygonaux: cyclopéen, rustique, à blocage, à joints courbes. L’appareil trapézoïdal fait transition entre les appareils polygonal et rectangulaire. Ce dernier est le plus répandu; il se définit en outre par la ciselure d’encadrement, le bossage et la feuillure d’angle. Les murs sont constitués de deux parements séparés par un massif de blocage dans lequel pénètrent des boutisses. Comme dans le reste de l’architecture, la nouveauté fondamentale apportée par l’époque romaine consiste dans l’utilisation pour les enceintes des appareils à maçonnerie de blocage dont il a été question plus haut.3. La morphologie des enceintesD’une manière générale, les fortifications sont adaptées aux données naturelles. L’adaptation au relief donnera les éperons barrés ou les enceintes de contour défendant le sommet d’une hauteur. Une enceinte utilisera un méandre ou un confluent. Mais la technique permet de s’affranchir de ces données naturelles grâce à la construction d’enceintes géométriques. Les tracés des enceintes sont très divers; leur examen montre la place de l’expérimentation, des contraintes topographiques, des possibilités financières, des traditions culturelles et aussi la diversité des conditions juridiques, territoriales et ethniques.Les archéologues accordent une importance particulière à la taille des enceintes. En effet, celle-ci n’est pas toujours en rapport direct avec les dimensions de l’habitat protégé. On établit des typologies fondées sur des séries régionales (énormes enceintes d’Allemagne moyenne et des pays d’Europe centrale à l’époque protohistorique) et sur des différenciations chronologiques: l’habitat fortifié change d’échelle à partir de la fin du IIe siècle avant J.-C., sans doute du fait d’une modification des rapports entre l’habitat et le terroir. Entrent bien entendu en ligne de compte les problèmes de coût: une muraille et son entretien représentent une somme importante. Mais la charge financière doit être mise en rapport avec ce qu’aurait coûté une bonne défense; ainsi, pour Athènes au Ve siècle, la construction des Longs Murs est une dépense modérée.Le monde grec a connu de vastes enceintes, baptisées par les archéologues allemands Gelandemauern , que l’on traduit par «enceinte territoriale» ou «enclos à grand périmètre». Leur taille peut être liée au problème de l’accueil des troupeaux (très importants pour une économie agraire) et elles peuvent avoir succédé aux grands enclos connus dès l’âge du bronze. En Gaule, les vastes enceintes sont caractéristiques des capitales indigènes et du début de la Province romaine (époque d’Auguste); elles paraissent donc liées à un statut politique. Inversement, il a été rappelé plus haut que la réduction des enceintes à l’époque romaine ne correspond pas obligatoirement, comme on l’a cru, à celle de l’habitat: le mur peut ne plus défendre que le centre politique et un rempart restreint s’expliquer par des considérations techniques.4. Les éléments du rempartLe soin apporté par la collectivité à la construction d’une enceinte est constant; celle-ci comporte toujours un certain nombre d’aménagements caractéristiques de sa fonction défensive. Les premiers sont les tours dont on fera la typologie. Il en existe deux formes principales: les tours carrées ou quadrangulaires et les tours rondes qui, dans l’architecture grecque au moins, leur sont postérieures. Elles peuvent être pleines ou comporter au rez-de-chaussée une salle munie d’archères pour un tir rasant; les unes sont plus solides, les autres permettent une meilleure défense contre des assaillants ayant atteint le pied du rempart. La forme carrée est appropriée à la construction en grand appareil et propice à un aménagement intérieur mais engendre des angles morts pour le tir et des angles saillants qui favorisent l’action des béliers et des machines de siège. Les tours polygonales sont une solution intermédiaire entre le plan carré et le plan circulaire. En fait, le meilleur plan est le plan circulaire ou, plus fréquemment encore, semi-circulaire; les tours rondes sont les plus résistantes et les mieux adaptées à la surveillance. L’espacement normal des tours correspond à la portée des armes de jet.La courtine est la partie de la muraille comprise entre deux tours; elle est normalement rectiligne; mais, pour diminuer le nombre des tours, les architectes militaires prévoient de ménager des crémaillères et des saillants.L’entrée dans l’espace défendu se fait par une porte dont la défense est toujours assurée avec un soin particulier, jusqu’à en faire une véritable forteresse car elle constitue le point le plus faible du dispositif. Le principe le plus général de la défense des portes est d’obliger l’ennemi à présenter aux coups de la défense son flanc droit, non protégé par le bouclier. Dès le IIIe millénaire, dans les Cyclades, apparaissent des portes en chicane. À l’époque mycénienne, on utilisa le système de la rampe d’accès bordée par un bastion. Des portes doubles puis triples sont construites au IIe millénaire en Asie Mineure et au Proche-Orient. Dans l’architecture grecque et romaine, la solution la plus économique consiste à créer un cheminement défendu par une tour. Le plus simple est d’ouvrir la porte en arrière de la courtine au fond d’un angle rentrant de la muraille. L’angle d’ouverture détermine la formation d’une cour curviligne ouverte vers l’extérieur et au fond de laquelle s’ouvre la porte. Selon l’ouverture de la cour, on distingue la porte «en demi-lune» et la porte «à tenaille» dont la forme est plus proche de l’outil auquel elle doit son nom. Au lieu de s’ouvrir vers l’extérieur, la cour peut être fermée; on parle alors de porte à cour intérieure. Il faut attendre l’Islam des XIe et XIIe siècles pour voir la défense des portes progresser par rapport à l’époque romaine: construites dans des bastions, celles-ci sont caractérisées par l’allongement de couloirs d’accès pourvus de nombreux assommoirs et de nombreuses herses. À la même époque, la défense rapprochée des portes est perfectionnée par un dispositif de flanquement mis au point en Espagne, la torre albarrana , tour bâtie en avant de l’enceinte et reliée à elle par une arche. Les poternes sont des ouvertures secondaires étroites qui peuvent faire l’objet de dispositifs de défense tels qu’un tracé biais ou coudé.La circulation sur le sommet du rempart et sa défense sont assurées par une plate-forme, le chemin de ronde, construit sur le sommet du mur et élargi par un encorbellement. Vers l’extérieur, ce chemin est protégé par un parapet habituellement crénelé, parfois protégé par une toiture. Dans le cas d’architecture de pierre, les créneaux sont découpés orthogonalement. Mais, sur leurs remparts de terre, les Assyriens construisaient des merlons d’argile de forme pyramidale. Le plus souvent, la muraille est aveugle et sa défense est assurée depuis le chemin de ronde et à partir des tours. Mais elle pouvait être améliorée par des ouvertures de tir et des poternes de sortie. Vers l’extérieur, le rempart est normalement précédé d’un fossé devant lequel s’étend un glacis. Le fossé présente l’intérêt d’augmenter la hauteur du rempart et de constituer un obstacle gênant pour les assaillants, infranchissable pour les machines d’assaut et de sape.5. Les orientations de la recherche sur les enceintesLes progrès dans la connaissance des enceintes passent par des publications systématiques de monographies qui sont les étapes indispensables (mais non suffisantes) d’une approche comparative. Certes, l’ambivalence fondamentale de l’enceinte (lien et séparation, dépense de prestige et de nécessité, symbole de puissance et de crainte) contraint à ne pas en réduire la signification à la fonction défensive. Mais il convient de rendre à l’architecture militaire la dignité dont la perte fut liée aux abus passés de l’histoire bataille et de mieux prendre en compte la valeur tactique de cette structure architecturale. De même, les études typologiques sont une nécessité, mais il importe d’obtenir des chronologies qui ne soient pas plus assises sur elles que sur une «vraisemblance» historique faisant alterner des périodes de perfectionnement et de décadence. L’enceinte est en effet un des monuments les plus difficiles à dater: peu d’inscriptions ou des inscriptions qui datent des interventions ponctuelles, peu d’éléments décoratifs caractéristiques susceptibles de datation stylistique.Un problème important et délicat est celui du rôle des traditions culturelles; un ethnocentrisme dont il faut être conscient a conduit à accorder à l’architecture grecque un privilège, évoqué à propos de la morphologie des enceintes. Il intervient aussi pour la classification des techniques de construction. Faut-il par exemple faire passer par l’Euphrate une ligne séparant un monde l’architecture de pierre et un monde de l’architecture de terre crue fondée sur la massivité et l’épaisseur de la construction? Géologie et culture interviennent selon de subtiles combinaisons.De plus en plus, la ville antique est étudiée dans son rapport avec un territoire; elle entre dans un «système». L’enceinte, qui est un élément de cet ensemble, est elle-même liée à l’organisation de l’espace rural. Ainsi, dans le cas d’Orange, colonie romaine fondée pour doter de terres des vétérans, la construction d’un rempart doit être mise en relation avec les opérations de division du sol connues par la célèbre inscription cadastrale où est figuré un parcellaire: le tronçon septentrional de l’enceinte aurait servi de base au réseau centurié. Le réseau routier est en rapport avec le réseau des rues et leur raccordement se fait au niveau de l’enceinte; dans les villes romaines, à l’époque augusto-tibérienne en particulier, on prêta une attention particulière à la monumentalisation de celui-ci par des portes ou des arcs établis aux limites de l’espace sacré du poemerium (Orange, Glanum, Saintes).
Encyclopédie Universelle. 2012.